Proche de Joseph Scaliger, un temps ennemi de Ronsard, précepteur d'Henri de Navarre, Florent Chrestien tient une place de choix dans la vie intellectuelle et politique de la fin du XVIe siècle. Pourtant, si la critique littéraire en France s'est intéressée à lui, c'est surtout, et presque uniquement, pour son rôle dans la rédaction de la Satire Menippée, où il s'en prend avec virulence à Ronsard sous le pseudonyme de La Baronie. Bien que sa contribution à la tradition classique ait été peu étudiée, Florent Chrestien est très loin d'être l'homme d'une seule œuvre : il a commenté Catulle, Tibulle, Properce, et il est l'auteur de traductions aussi bien en latin qu'en français et en grec ancien.
Or son œuvre de traducteur et commentateur du théâtre antique est surprenante : elle entre en contradiction avec la tendance d'un siècle qui se concentre sur un petit répertoire de comédies et de tragédies dont beaucoup sont encore aujourd'hui nos « références ». Dans les dernières décennies du XVIe siècle, il traduit aussi bien des comédies que des tragédies, et ses choix sont toujours des plus inattendus : Les Sept Contre Thèbes d'Eschyle, Paix d'Aristophane, Philoctète de Sophocle, Andromaque d'Euripide paraissent entre 1585 et 1594. Par la suite, Le Cyclope d'Euripide et Les Guêpes et Lysistrata d'Aristophane paraissent de façon posthume en 1605 et 1607. Chrestien a également traduit en français Jephté et Le Cordelier de George Buchanan, et en latin la Vérité fugitive de Rémy Belleau. Enfin, en véritable homo trilinguis, il a également traduit Catulle en grec.
Son œuvre de traducteur va de pair avec un travail philologique sur les textes : ses traductions d'Andromaque d'Euripide, de la Paix d'Aristophane, du Cyclope d'Euripide sont suivies de commentaires aux textes. Il est l'auteur d'un commentaire des Phéniciennes de Sénèque, et commente également les poètes élégiaques latins, Apollonios de Rhodes, et édite une partie des épigrammes de l'Anthologie grecque. Ses choix de traduction, comme il en témoigne dans ses préfaces, ont bien souvent une origine politique, et doivent se lire en écho à l'irénisme qui marque la fin du siècle. Les commentaires qui accompagnent ses traductions latines mêlent des réflexions politiques aux conjectures philologiques sur les textes. Les travaux de Florent Chrestien sur les auteurs antiques se sont attiré la reconnaissance des humanistes parmi les plus réputés : à sa mort, Isaac Casaubon se charge de faire imprimer sa traduction du Cyclope d'Euripide, et Emile Porte fait imprimer deux de ses traductions d'Aristophane, Les Guêpes et Lysistrata, avec une réimpression de la Paix en 1607. Si la contribution de Scaliger et Casaubon aux études classiques a fait l'objet d'études, le travail de Florent Chrestien, malgré son immense variété, n'a attiré jusqu'à aujourd'hui que peu d'attention. Inscrite dans le cadre de l'ANR IThAC qui porte sur les paratextes aux éditions des auteurs de théâtre antique, l'objet de cette journée sera ainsi de se pencher sur la contribution atypique et hétérogène de Florent Chrestien aux études humanistes, afin de rendre à ce savant et à ses travaux leur place au sein du réseau humaniste des dernières décennies du XVIe siècle.